Pierre Lacans, une Légende biterroise

30/09/2015
Il y a trente-cinq ans, Pierre Lacans perdait la vie dans un tragique accident sur la route de Narbonne. Une perte dont ce n’est jamais remis le club. Retour sur une riche carrière qui parait pourtant inachevée.

Narbonne, 29 septembre 1985. Terre de joie en ce dimanche de derby. Le championnat de France de première division n’en est encore qu’à ses débuts, mais le hasard du calendrier a voulu que l’opposition Languedocienne rende son verdict tôt dans la saison. Le RC Narbonne accueille sur sa pelouse du stade de l’Eguassieral l’A.S. Biterroise, emmenée par son troisième ligne et capitaine, Pierre Lacans. Chez le voisin Audois, Béziers assume pleinement son statut de favori et l’emporte du côté de Narbonne. La joie est là dans le camp Biterrois. Et pour fêter comme il se doit la victoire dans ce derby, la suite des festivités se déroulera « à la maison ». Mais pour certains, à l’image de Pierrot Lacans qui tient un bar à Lézignan-Corbières, il va falloir partir travailler tôt le lendemain.

Nuit courte et certainement mal de tête en ce lendemain de victoire, arrosée comme il se doit. Mais ce début de semaine va marquer à jamais un tournant dans l’histoire de l’A.S. Biterroise. Non, ce n’est pas une mauvaise blague ou un effet pervers de la gueule de bois. La nouvelle est bien réelle, bien que n’étant pas dans les journaux, et personne ne pourra rien y changer. Pierre Lacans, 28 ans, troisième ligne et capitaine de l’AS Biterroise, international Français à six reprises, cinq fois champion de France, a eu un accident de la route, tôt ce lundi 30 septembre sur la nationale 113 entre Coursan et Narbonne. L’ASB se retrouve tout à coup orpheline. Sans transition et de manière pour le moins brutale et inattendue.
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C’est presque du jour au lendemain que les Biterrois se sont retrouvés guidés par l’enfant de Conilhac-Corbières. Bien avant de devenir capitaine de l’ASB en 1980, Lacans ne se destine pas au rugby à XV. Au pays des Corbières, le jeu à XIII est roi. Et il n’échappe pas à la règle. D’autant que cet « autre rugby », c’est de famille. Son père, Roger Lacans, était lui aussi joueur du FCL XIII. Ce dernier avait marqué le club de son empreinte en ne jouant que pour le club de l’Aude. Finaliste du Championnat en 1959, vainqueur de la Coupe en 1960 et champion de France en 1961, il avait porté à de nombreuses reprises le maillot de l’équipe de France en tant que pilier. Son oncle, Michel Maïque, était également joueur à Lézignan.

Stadium, Toulouse, 1976 : Un premier rendez-vous manqué

Naturellement, Pierre Lacans tombe donc dans le monde de l’ovalie à XIII. Dès l’âge de cinq ans, la future icône Biterroise s’essaie du côté de Lézignan. Au fil des années, son talent et ses qualités rugbystiques se développent et se montre aux yeux de tous, et ce, dès les catégories Minimes et Cadets. Précoce dans son sport, il n’a que 19 ans le jour où lui est donnée sa chance de jouer la finale du championnat Elite 1 de rugby à XIII face à l’US Carcassonne. Il n’est alors qu’en Juniors. Et pourtant, c’est déjà son dernier match sous ses couleurs Lézignanaises. Bien qu’en finale, sa sortie n’est pas aussi triomphale que ce qu’il aurait pu espérer. Le FC Lézignan s’incline face au voisin Carcassonnais, 14-6.

Un de perdu, dix de retrouvés dit-on ? Pour Lacans, ce sera un de perdu, cinq de soulevés. A cinq reprises, le troisième ligne soulèvera le Bout de Bois, ce Bouclier de Brennus convoité par tous. En effet, à l’issue de la finale perdue contre Carcassonne, Pierre Lacans décide de franchir le pas, et même deux ! D’une part, en passant vers « l’autre » rugby, et d’autre part, en décidant de venir jouer dans l’Hérault, du côté de Béziers. Il débarque du côté de Sauclières à l’occasion de la saison 1976-1977 mais l’ancien Treiziste ne commence pas directement dans l’équipe de Raoul Barrière. Il débute d’abord sous le maillot rouge et bleu en catégorie Juniors, sous la houlette de Lucien Rogé, champion de France 1961. Ses premiers pas sur les bords de l’Orb sont auréolés d’un premier titre de champion de France. Signe du destin, il remporte son premier bouclier avec l’ASB face à Narbonne, 21-16. Cette victoire, ainsi que d’autres titres cette saison là, permet à Béziers de remporter pour la troisième fois le titre de «club le plus complet » .

1977-1978 : Saison fondatrice

La saison suivante marque un tournant dans la carrière du futur capitaine de l’ASB. Joueur de Nationale B à la reprise de la saison, il ne s’attendait surement pas à vivre une pareille saison. L’Audois de naissance se voit offrir la chance de débuter en équipe Première, aux côtés des grands noms actuels de l’ASB. A 21 ans, Pierrot joue ses premiers matchs aux côtés des Vaquerin, Martin, Palmié, Saïsset, Astre ou encore Cabrol. Il a notamment l’occasion de se montrer aux yeux de l’entraîneur à l’occasion du cinquième match du challenge Yves-Du-Manoir, joué à Sauclières le 11 décembre 1977. Titulaire, Lacans prend part au festival offert par l’ASB en ce dimanche après-midi : 16 essais sont passés au Stade Toulousain, dont deux pour Pierre Lacans.
Pour ses débuts en championnat, il aura dû patienter quatre mois de plus. 23 avril 1978, Perpignan. 16e de finale du championnat de France. Face aux Biterrois se dresse l’équipe de Thuir. Pour Béziers, numéro un Français à l’issue de la phase de groupe, affronter l’équipe classée 32e ne semble pas bien inquiétant. L’occasion pour Raoul Barrière de lancer Pierre Lacans dans le grand bain. Or, ce n’est pas à son poste de troisième ligne où il s’est révélé aux yeux de tous qu’il débute sa carrière en équipe fanion. Le Sorcier de Sauclières décide de faire débuter Lacans… au poste de demi d’ouverture ! Ce dernier cherche encore à ce moment-là sa place au sein de la machine à gagner rouge et bleue. Son positionnement fait ainsi reculer Henri Cabrol au poste d’arrière. Ses quatre vingt premières minutes au sein du Grand Béziers se déroulent donc entre Richard Astre et Jean-Luc Rivallo. Ce jour là, l’ASB ne surnage pas face aux Thuirinois . Menés 6-9 à la pause, les pensionnaires de Sauclières s’imposent finalement 29-15.
Sa jeunesse lui est préjudiciable face à l’expérience des joueurs en place et Pierrot Lacans ne dispute plus un match des phases finales…Enfin, presque ! Certainement en guise de « récompense » pour sa saison et ses débuts prometteurs, Raoul Barrière le fait participer à la finale contre l’AS Montferrandaise. Pendant deux minutes, il foule la pelouse du Parc des Princes en ce 20 mai 1978. A nouveau, c’est en tant que demi d’ouverture qu’il rentre, en lieu et place d’Henri Cabrol. Comme ses seize autre coéquipiers ce soir-là, Lacans a le privilège de soulever le Bouclier de Brennus. Son premier. Mais ce n’est pas son unique titre cette saison là. En effet, il est à nouveau champion de France avec les Juniors, ainsi qu’avec la Nationale B. Une saison pleine qui lance définitivement la carrière de ce joueur pourtant destiné au rugby à XIII.

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1978-1980 : Leader par nature

Pierrot Lacans débute sa véritable première saison avec l’équipe fanion alors que cette dernière est dans la tourmente la plus complète. Raoul Barrière, l’emblématique entraîneur de l’ASB, quitte ses fonctions en début de saison. Un peu plus tard suivra Richard Astre. Pour des causes professionnelles, le demi de mêlée Biterrois se doit de raccrocher les crampons. Une page se tourne du côté de Sauclières. Béziers perd deux personnages emblématiques de son histoire : un entraîneur hors-pair qui aura façonné une équipe en avance sur son temps et un demi de mêlée relais sur le terrain de cet entraîneur. Les Biterrois allaient-ils se retrouver orphelins ? Ce n’était pas à exclure.
Pourtant, malgré son jeune âge, Pierre Lacans s’impose petit à petit naturellement au sein du groupe. Peut être à cause de son gabarit inhabituel pour l’époque ? Avec son mètre 87 et ses 96 kg, il a de quoi prendre de l’importance dans l’équipe. Au point de marquer (un peu) cette saison 1978-1979 de son empreinte. Bien que loin du record des 11 essais inscrits par Michel Fabre contre Montchanin lors de la saison 1979-1980, le désormais troisième ligne Biterrois s’offre le luxe d’inscrire cinq essais contre La Rochelle (victoire finale 36-3), sur un total de neuf à l’issue de la saison.
Ce n’est pas l’élimination en 1/8e de finale contre Bagnères (défaite 9-6) qui lui met un coup derrière la tête, étant toujours positif selon ses coéquipiers. Difficile à défendre, très à l’aise d’un point de vue technique, Lacans devient alors un véritable meneur de jeu de l’équipe. A tel point que pour le 1/8e de finale du championnat de France 1979-1980, il lui est confié la lourde responsabilité de capitaine, alors que l’AS Biterroise affronte son rival régional, Narbonne, du côté de Toulouse. La victoire est là et est au rendez-vous jusqu’au bout. Deuxième bouclier pour Lacans face à Toulouse, 16-10. Qu’importe les départs de Barrière, d’Astre, les faux départs de Vaquerin et Cabrol, l’ASB et son troisième ligne sont toujours bien là. Fidèles au poste.

1980-1982 : Deux ans en Bleu, et pourtant…

Ses qualités, aptitudes et capacités ne font plus de doute aux yeux du grand public. Mais ce n’est pas pour autant que le natif des Corbières fera une grande carrière avec le maillot frappé du Coq. Six matchs… Il n’aura eu l’occasion de ne jouer que six petits matchs avec le XV de France entre 1980 et 1982. Difficile de déloger les troisième lignes en place que sont Jean-Luc Joinel, Laurent Rodriguez et Jean-Pierre Rives. Du côté de la cité de Paul-Riquet, on ne cesse de se plaindre de ce manque de reconnaissance envers le capitaine des rouge et bleu. A une époque où Albert Ferrasse règne sur la Fédération, on crie au complot. Le tord que lui reproche Jacques Fouroux, alors sélectionneur du XV de France ? Ses petites faiblesses défensives. Oui, malgré son statut, Pierrot Lacans n’était pas un défenseur hors pair.
Malgré ce, ces quelques occasions de représenter son pays lui offrent autant de joies que de peines. Six matchs disputés, trois victoires pour trois défaites. Il débute sa carrière internationale du côté de Prétoria, le 8 novembre 1980. Porteur du maillot floqué du numéro 7, il ne peut rien face à la puissance Sud-Africaine : défaite 37-15. Lacans est rappelé quelques mois plus tard, à l’occasion du Tournoi des V nations. La France reçoit le Pays de Galles au Parc des Princes en ce 7 mars 1981. L’issue est cette fois-ci plus favorable, victoire 19-15.
Mais son meilleur souvenir reste certainement sa troisième sélection. Le XV de France est en déplacement chez son voisin Anglais, quinze jours après avoir disposé des Gallois. Titulaire au poste de numéro 8, le Biterrois s’offfre le luxe d’inscrire son premier essai en Bleu sur la pelouse de Twickenham. Le premier des deux essais Français. La victoire est au bout, 12-16. C’est ensuite avec le numéro 6 dans le dos qu’il honore sa quatrième sélection. En terre Australienne, à Sydney, Lacans inscrit un deuxième et dernier essai international, à sept minutes du terme d’une rencontre perdue depuis quelques minutes déjà (24-14).
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Il est sélectionné pour la quatrième fois sur l’année 1981 pour affronter en Test Match l’équipe de Roumanie (victoire 17-9) avant une dernière sélection le 6 février 1982 au Pays de Galles (22-12). Le chapitre de ses aventures internationales est vite refermé. Entre temps, il sera remonté une fois au Parc des Princes avec l’ASB pour aller décrocher un nouveau titre de champion de France face à Bagnères (22-13).

1982-1984 : Blessé ? Qu’importe !

Comme à l’accoutumée depuis 1971, Béziers ne réalise jamais le triplé. Deux boucliers de rang, puis une défaite en finale comme en 1976 face à Agen, ou tout simplement, une élimination lors des phases finales. C’est pourquoi Pierre Lacans ne pouvait passer à côté des deux dernières finales jouées par l’ASB, bien que personne n’imagine à ce moment là que la « machine à gagner » va tout à coup s’arrêter. Une chose est sûre, le capitaine Biterrois ne se plaint jamais. Et c’est là un trait de caractère évident de la personne.
Il ne raterait un match sous aucun prétexte. Si bien qu’en 1982-1983, alors que les Biterrois s’apprêtent à affronter l’Aviron Bayonnais en demi-finale du championnat de France sur la pelouse du Stadium de Toulouse, il tient sa place au sein du pack rouge et bleu alors qu’il souffrait d’une fracture du fémur. Plutôt solide. La victoire étant au bout (19-12), la route du Parc des Princes s’ouvre à nouveau pour toute l’équipe. Et tant pis pour la blessure. Pierrot Lacans est bien titulaire et capitaine en ce 28 mai 1983. Il tient son rang 65 minutes aux côtés de Jean-Michel Bagnaud et Jean-Marc Cordier, mais doit céder sa place à Philippe Chamayou à un quart d’heure du coup de sifflet final. Sa blessure ne l’empêche pas de soulever son quatrième Brennus.
Bis répétita la saison suivante. Titulaire lors du 1/8e de finale aller contre Bagnères où il inscrit le premier essai de la rencontre, Lacans se blesse à nouveau en contractant une élongation. Il est tenu éloigné des terrains par Francis Mas et Roger Bousquet pour le 1/8e retour ainsi que pour la ¼ de finale. La voilà de retour pour la demi-finale contre Montferrand (victoire 8-4). Ce passage en finale a laissé quelques traces dans le camp Biterrois et, sans s’être totalement remis de son élongation, l’ancien Treiziste tient tout de même sa place. Et après 110 minutes de stress intense, c’est bien lui qui est à la tribune Présidentielle, entouré de tout son groupe, pour soulever une dernière fois ce Bouclier de Brennus.

1984-1985 : La transition

Ce 11ème et dernier titre marque un tournant important dans l’histoire de l’AS Biterroise. Certains cadres vieillissent ou arrêtent, des jeunes montent en équipe première… Bref, une page se tourne à nouveau à Sauclières. Béziers n’échappe pas à la règle de l’élimination en phase finale lors de la troisième année en s’inclinant face à Toulouse sur un cinglant 21-0. Une « passation de pouvoir » déclarera Olivier Saisset, entraîneur, à l’issue de la rencontre.
Reculer pour mieux sauter, à nouveau ? Et bien non, cette fois, c’est fini. L’AS Biterroise n’est plus. L’AS Biterroise ne sera plus gravée dans le bois du Bouclier. L’AS Biterroise ne reverra plus Paris et son Parc des Princes.
Peut-être l’aurait-elle pu, si, en ce lendemain de derby, la nouvelle n’était pas tombée. Si l’article du Midi Libre du 1er octobre 1985 n’avait pas dû être écrit. Si ce n’était qu’une mauvaise blague ou un effet pervers de la gueule de bois. Mais non, la réalité est bien là et est dure à encaisser en ce 30 septembre 1985. Lacans, l’icône Biterroise, troisième ligne devenu emblématique et incontournable en un peu moins de dix ans sur les bords de l’Orb, n’est plus. La rencontre de sa Ford Escort avec une bétaillère dans la ligne droite entre Coursan et Narbonne lui aura été fatale. Pierrot Lacans, cet Audois treiziste d’origine, ce leader naturel, cet international oulié, ce capitaine grand frère, s’en est allé. A croire malheureusement qu’il a aussi emporté l’AS Biterroise et sa grandeur avec lui. Dans la Légende.

Maxime GIL