1984, l’ultime Brennus: les finales du Sorcier (5/5)

31/05/2014
A l’occasion des trente ans du dernier titre de l’A.S.B, Rugbiterre vous propose tout au long de la semaine un retour sur cette saison 1983-1984 ainsi que sur la finale historique.

Pour terminer cette semaine spéciale consacrée au dernier Bouclier de Brennus de l’AS Biterroise, comment ne pas honorer celui par qui tout a commencé. Raoul Barrière était revenu pour Rugbiterre, il y a quelques temps, sur ses finales, en tant que joueur et surtout en tant qu’entraineur. Le Sorcier de Sauclières fût l’un des principaux acteurs de cette fabuleuse aventure en rouge et bleu. Témoignage… pour l’éternité.

1960  BEZIERS-LOURDES [11-14] : « Infériorité numérique »
Rugbiterre.oc: Tiens, une finale perdue contre vos maîtres lourdais ! Vous nous aviez dit que vous vous êtes inspiré de la grande école lourdaise et l’élève a encore pris une leçon ! Un géant filiforme, venu des manchots de Bagnères,  ça ne vous rappelle rien ?

Raoul Barrière: Pour moi, Lourdes, c’était la référence française du rugby. C’est  certainement l’équipe qui a le plus longuement réfléchi sur le jeu. Les joueurs passaient des heures à discuter, et j’ai pu me rendre compte du travail intelligent. Tout était pensé, réfléchi, mesuré. Avec peu de moyens, ils arrivaient à des résultats car ils mettaient de la rigueur dans les applications. Il n’y avait pas chez eux de la prise de risque
D’ailleurs, je rigole quand j’entends des entraîneurs dire « allez, faîtes-vous plaisir ! » Le rugby pour moi, c’est un jeu de rigueur.

Pour en revenir à cette finale contre Lourdes, vous voulez parler de Crancée. Et oui, on n’a pas eu un ballon en touche. Il nous a tout pris…Et je vais vous dire pourquoi…Mercier, notre seconde ligne avec Gayraud,  revenait de blessure. Une entorse au genou, « cliniquement guérie » ….
Je me suis mouillé car « cliniquement guérie » ne veut pas dire joueur opérationnel…et ça n’a pas loupé, dès les premières mêlées (il poussait derrière moi), il me dit que son genou avait encore lâché…Je lui répondis : « tant pis, tu as voulu jouer, tu finis le match ! » (Les remplacements n’étaient pas autorisés à l’époque !)

On a donc joué en fait à 14 et devant des lourdais au sommet de leur art. Vous connaissez la suite.

 

1961  BEZIERS-DAX [06-03] : « Et le drop de Danos »
Rugbiterre.oc: Le premier titre ! Le plus beau ?

Raoul Barrière: Et non ! On va se projeter dans l’avenir et puis, on reviendra en 61…
Le plus beau titre, c’est 1968 avec mes juniors. Quelle joie, quelle consécration que d’avoir amené ces jeunes à ce titre.
Mon crédo, c’est la formation et ce titre m’a conforté dans mon travail car c’était la continuité de mon métier d’éducateur d’EPS.

Vous n’allez pas me croire, j’étais aussi heureux d’un titre de champion d’Académie que d’un titre  de champion de France ! C’est le plus beau titre de ma carrière car c’était l’aboutissement de mon premier poste d’entraîneur.

 Ah 61, oui Lyon et ce drop de notre maître à jouer Danos.

 

1962 BEZIERS-AGEN [11-14] : « Méricq en touche »

Raoul Barrière: Ce fut une défaite sur le plan technique. Nous n’avons pas trouvé des touches et ils avaient un arrière, Razat, qui nous a fait mal. Et puis cet essai de Méricq !! Un véritable scandale avec un passage en touche.

Au sujet de l’arbitrage, je force un peu le trait mais un arbitre est capable de faire gagner Villeneuve contre les Blacks ! J’appelle ça des obstacles extra-sportifs.

 

Rugbiterre.oc: Et cette année-là,  l’ASB remporte  la première Coupe d’Europe des clubs champions ! Prémisse de la Coupe d’Europe.
Et vous  voilà à la retraite sportive à 35 ans, nous sommes en 1963.
La traversée du désert en quelque sorte…mais c’est  du travail, de la  réflexion. Vous êtes un éducateur né, un chercheur et vous amenez en finale junior une fabuleuse équipe qui va apporter au rugby biterrois son lustre d’antan. Vous en parliez tout à l’heure.
Nous entamons là, la grande épopée des « Invincibles »

Raoul Barrière: En effet, et je puis vous dire que nous ne sommes que deux clubs à avoir  pu enchaîner cinq finales à la suite : le SBUC (entre 1904 et 1911 : 8 finales consécutive) et l’ASB.

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1971 BEZIERS-TOULON [15-09] : « l’essai de la Sègue de 75 mètres »

Raoul Barrière: Tout le monde parle de Jacques (Cantoni)…mais qui se pèle l’essai de la gagne ? La Sègue, il en met cinq dans le vent quand même et sur 75 mètres !

Vous allez me parler de la blessure d’Herrero, je le sens venir….
Et bien, je vais vous décevoir : Je n’ai rien vu, rien entendu et même aucune réflexion des joueurs…
Et puis, Dubernet, l’arbitre nous aimait bien…On les comptait sur les doigts d’une main…Je pense au catalan Palmade aussi.

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1972 BEZIERS-BRIVE [09-00] : « l’homme du match ? Cabrol »

Raoul Barrière: L’homme du match pour moi c’est Cabrol.

cabrol

Rugbiterre.oc: Mais Raoul, comment se fait-il qu’un joueur de cette classe n’ait pas été appelé en équipe de France ?

Raoul Barrière: C’est vrai, je m’en étais ému auprès de Desclaux mais vous savez que mes garçons ne cherchaient pas la gloire. Leur bonheur c’était de jouer à Béziers.
Et puis, les hauts dirigeants nous faisaient payer cette volonté de ne pas adhérer à leurs principes.
Un jour, un arbitre de Niort qui nous vola un match comme jamais, répondit à mes remarques bien senties : « Jouez autrement, on arbitrera autrement ! »
C’est révélateur d’un certain état d’esprit qui régnait alors. Mais Cabrol a eu quelques sélections, quand même.

 

Rugbiterre.oc: Et pourtant, en haut lieu, on a reconnu la valeur de vos troupes puisque contre l’Irlande, on comptait…combien de biterrois ?

Raoul Barrière: Oui, c’était en 1973 et que nous est-il arrivé ? En demi-finale contre Dax, on a pris l’eau. On payait là nos sélections en équipe de France.
Ils avaient compris comment amoindrir cette équipe qui agaçait sérieusement !

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Rugbiterre.oc: Des souvenirs ? Le geste de Bastiat ? (le dacquois avait marqué un essai en demi-finale 1973 en narguant les biterrois)

Raoul Barrière: Oui, ce geste n’était pas très élégant. Et puis en France, on est « Poulidoriste »

 

1974 BEZIERS-NARBONNE [16-14] : « Le drop légendaire de Cabrol »

Raoul Barrière: Si vous saviez combien j’étais heureux que dans les finales, on trouve Narbonne et plus tard,   Perpignan. Ce qui prouvait que notre rugby valait bien celui du Sud-ouest.
Cette finale ? Les narbonnais avaient une superbe équipe avec toute la fratrie des Spanghéro, Maso, Viard, Belzons.
Ils méritaient de gagner. Je suis de nature pessimiste et je pensais que le match était plié. Il a fallu le coup de vice (ou de génie) de Richard, car la touche était narbonnaise et le lancer fut biterrois ! Vous connaissez la suite et ce drop légendaire…

 finale1974

1975 BEZIERS-BRIVE [13-12] : « le 1er magnétophone, la potion magique et un de maï »

Raoul Barrière: Le Président Albert Ferrasse m’interdit le banc de touche !! Je trouvais une parade avec les talkies-walkies… Nouvelle interdiction, la police se plaignant d’interférences !!
Alors, on mit au point le coup du magnétophone qui côtoyait le panier de citron à la mi-temps !
Nos pontes de la FFR prenaient prétexte que les anglais interdisaient ces pratiques !!
Mais, on est chez nous, on les emm… les anglais et alors on n’est pas libre de faire ce qu’on veut chez nous ?
Pour cette finale, rien de particulier et « un de maï »!!

 

Rugbiterre.oc: Si Raoul, avec les citrons, il y avait la potion magique !

Raoul Barrière: Chez nous, pas de produits dopants ! Beaucoup d’eau à la mi-temps et dans cette potion dite magique comme l’éponge, on y trouvait de l’eau de Vichy, du bicarbonate de soude, du gluconate de potassium…

 

Rugbiterre.oc: Rien que des bases …donc pas d’aigreur d’estomac. Au fait, la diététique, les repas d’avant-matches ?

Raoul Barrière: Le menu classique, purée, steak et du vin. Du vin, oui ! On était la Capitale du vin, non ?
Et puis, j’aurais eu des problèmes relationnels avec les joueurs si je leur avais interdit…

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1976 BEZIERS –AGEN [10-13] : « Messan l’arbitre, on gagnait ! »
Rugbiterre.oc: Si je vous disais : « Messan l’arbitre, on gagnait.. » ces propos sont de notre regretté Armand ?

 Raoul Barrière: Ne m’en parlez pas ! Je vais même vous rapporter des propos de Charles Durand, alors Président des Arbitres : « si on parlait de cette finale que Messan vous a volée ? »

Que voulez-vous, nous avions deux grosses pointures agenaises à la Fédé et beaucoup de monde au garde-à-vous. Mais Agen avait aussi une belle équipe.
Cette année là, on nous avait même interdit de réunion, comme si nous dérangions ! Nous avions constitué un groupe d’entraîneurs issus du corps enseignant : Conquet, Delaplace. S’était joint à nous  Liénard de Grenoble. Nous travaillions en comité restreint sur les évolutions et les entrainements : une école d’un nouveau genre.

 

 1977 BEZIERS – PERPIGNAN [12-04] : « une finale facile : nous étions au sommet »

Raoul Barrière: J’avais toute ma famille en sang et or, car vous le savez bien, je suis d’origine catalane.

Ce fut une finale facile. Je n’ai pas compris le peu de résistance des catalans. Il est vrai que nous étions au sommet. Chaque garçon qui entrait en jeu se mettait au diapason.

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 1978 BEZIERS MONTFERRAND [31-09] : « une démonstration totale de rugby »

Raoul Barrière: Ce fut une démonstration totale de rugby avec une maîtrise collective même avec des remplaçants. Pensez que la Sègue marque un essai de 60 mètres avec une chaussure !

Je me souviens d’un grand de chez eux qui nous avait fait mal en touche. Gasparotto.
Il y avait aussi Romeu et le père Rougerie…

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Rugbiterre.oc: Vous aviez une méthode pour motiver vos troupes ?

Raoul Bprepa1arrière: Pas besoin de trop parler avant les matches. Je me souviens d’une certaine revanche en Du-Manoir contre Dax…qui nous avait battus en demi avec le geste élégant de Bastiat…

 

Nul besoin de faire un long discours…
Le vestiaire, c’est un temple. L’individu est confronté à des phénomènes de stress.
Nous avons même eu un sophrologue qui venait de Mazamet.

Tout se passe dans le cerveau. Le discours n’est pas le même selon qu’on s’adresse à un groupe restreint qu’à une équipe.
Entre les individus, des ondes se répartissent, il s’agit de s’adresser à l’inconscient pour atteindre le côté affectif.
Par exemple, quand j’étais boxeur, j’aimais bien aller me faire chouchouter dans le coin du ring.


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Rugbiterre.oc: Un souvenir particulier sur une équipe ?

Raoul Barrière: Une année, on a ressenti une âme vraiment particulière dans une petite équipe des Landes. Saint-Vincent de Tyrosse ! Un village qui a fourni quelques internationaux, les frères Cambérabéro et Rupert.

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Rugbiterre.oc: Des hommes qui vous ont particulièrement marqués ?

Raoul Barrière: Je tiens à associer à ma réussite, Jojo Mas qui fut un grand Président et avec qui je faisais l’équipe, car il avait toujours une vue juste sur les joueurs.

Pour les joueurs, j’en retiens deux hors-normes, pour des raisons particulières… Pépito Navarro et Claude Saurel.

Henri GEOFFROY
© Tous droits réservés / Mai 2014

Crédit photos: Collection personnelle – L’Année du Rugby