1984 l’ultime Brennus : Jour de sacre (3/5)

28/05/2014
A l’occasion des trente ans du dernier titre de l’A.S.B, Rugbiterre vous propose tout au long de la semaine un retour sur cette saison 1983-1984 ainsi que sur la finale historique.

Le claquement des crampons dans ce couloir, la respiration haletante, le regard fixe sur cette once de lumière, le bruit des tribunes  dans le tunnel. Le bleu, le rouge, le blanc sont aperçus. Désormais la pelouse. Plus rien pour faire marche arrière. Le protocole terminé, les trente acteurs vont pouvoir se lâcher. Jean-Claude Yché au sifflet, Philippe Escande au coup de pied ! Alea jacta est*.

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Ces moments avant de pouvoir entrer sur la pelouse, Philippe Bonhoure les avait connus l’année précédente lorsque Béziers affrontait Nice en finale après une première venue au Parc des Princes, sans jouer, en 1981 contre Bagnères:  « J’avais vécu la finale 1981 de l’intérieur, m’étant blessé au genou contre Perpignan en quart de finale. Au moment de rentrer sur le terrain, j’étais surtout très heureux d’y revenir et je mesurais la chance qui était la mienne de pouvoir à nouveau défendre nos couleurs » se souvient-il. L’arrière Biterrois allait défendre ses couleurs face au vieil ennemi de l’A.S.B qu’était le S.U Agen, club chéri du président de la Fédération, Albert Ferrasse. Une finale synonyme de match retour de la finale de 1976 emportée par Agen et le terrible Messan ? Pas forcément. « Agen était effectivement notre bête noire, un peu comme Castres pour Montpellier aujourd’hui et malgré la grosse expérience des anciens nous ne savions pas à quelle sauce Agen allait nous manger » . Côté Agenais, ce souvenir n’avait même pas été évoqué par Daniel Dubroca, seul rescapé du titre.

Avant cette finale, il est bon de rappeler que les supporters biterrois étaient très bien accueillis au Parc, suites aux débordements de la saison précédente (envahissement du terrain avant la fin de la finale face à Nice). Toute la saison, le président Rouquette avait d’ailleurs envoyé plusieurs signaux d’apaisements, en créant notamment le tout premier Club de supporters, afin de mieux encadrer les biterrois. La FFR avait trouvé aussi la parade en envoyant aux deux clubs, des billets situés… au premier étage de chaque tribune. Histoire de calmer de nouvelles ardeurs.

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Coté terrain, l’emprise d’Armand Vaquerin et des siens sur le championnat depuis 1971 forçait l’admiration. « A l’époque, Béziers avait plusieurs titres de champion de France et nous avions beaucoup de respect pour tous ces joueurs de très grande expérience » explique Bernard Delbreil, troisième ligne Agenais lors de la finale. Alors, jouer Béziers en finale ne pouvait que sublimer les hommes de Jean-Michel Mazas et René Bénésis:  « Nous étions très heureux déjà d’être en finale et  rencontrer cette équipe mythique nous transcendait doublement » .
Au moment de fouler la pelouse du Parc pour la première fois de sa carrière, Bernard Delbreil a simplement apprécié:  « Nous étions concentrés, solidaires, excités également par tout ce que nous allions découvrir en entrant sur le terrain. 44 000 supporters aux couleurs des deux clubs, les cris, les applaudissements… tout cela a de quoi vous tourner la tête » . Mais bien vite, les deux équipes vont se mettre dans le sens de la marche.

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Le contexte de la rencontre n’est pas mis de côté et la tension se fait ressentir de part et d’autres. Une situation tendue que préférait mettre de côté Philippe Bonhoure:  « D’autres s’occupaient [des pénalités]. Moi je m’attachais surtout à bien faire ce que j’avais à faire » . Les buteurs ont alors la part belle. Patrick Fort pour l’ASB, Bernard Viviès pour le SUA. Deux pénalités (8e, 16e) pour le premier, une seule pour le second (10e). Ajoutons-y le drop de Philippe Escande à la 35e minute et Béziers virait en tête au moment de rentrer aux vestiaires (9-3). Prémices d’une finale dont le suspense fût insoutenable, où les cardiaques étaient priés de s’abstenir.  » On cherchait à faire le moins de fautes possible, et surtout à faire courir l’équipe de Béziers pour marquer un maximum de points. Mais comme c’était une équipe très bien organisée, le jeu a été très équilibré toute la partie malgré le score de la mi-temps qui était de 9 à 3 pour Béziers » commente Delbreil. De plus, Agen perdait peu de temps après le coup d’envoi, Dominique Erbani, troisième ligne expérimenté remplacé alors par Michel Capot. Un fait de jeu dont se serait bien passé le SUA.
La jeunesse d’un Philippe Sella ne contrait pas l’expérience d’un Jean-Louis Martin (35 ans) ou d’un Armand Vaquerin (33 ans) habitués à jouer ces matchs couperets. Alors, pas de joie d’être devant au score à la mi-temps:  « Nous étions conscients de jouer contre Agen… » . Autrement dit, rien n’était fait. D’autant que les Lot et Garonnais n’étaient pas tant distancés au score et que la confiance était de mise dans le vestiaire des Bleu et Blanc:  « Malgré le score de la mi-temps nous sommes restés confiants, et avons maintenu notre jeu dans le but de faire courir les joueurs de Béziers » poursuit Bernard Delbreil.

Retour au terrain après quelques instants de repos qui furent les bienvenus. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que Béziers va être cueilli à froid par Agen. Delbreil va en effet, permettre à son équipe de se remettre dans le droit chemin avec un essai entre les poteaux après un travail de son arrière Viviès. Il se souvient:  « Je marque un essai en début de seconde mi-temps. C’est sur une attaque classique, Bernard Lavigne fait un crochet intérieur puis un point de fixation, il reste debout et Jean Louis Dupont vient en soutien récupérer le ballon, me fait la passe, je déborde deux joueurs de Béziers, je longe la ligne de touche et je marque l’essai aux milieu des poteaux sur une accélération. Au départ, l’action se situait à 40 mètres de la ligne d’en but. Philippe Bonhoure et les Biterrois viennent de prendre un coup sur la tête.  « C’est un peu dur à encaisser. Notre équipe était plutôt vieillissante et nous savions qu’il serait difficile de tenir la distance ». Agen aurait-il inversé la tendance ? L’ASB allait-elle tenir ? « Oui c’est un tournant du match car nous revenons à égalité au score. Moralement nous sommes à fond dans le match ». Les Agenais s’étaient réveillés au meilleur des moments.

Mais durant le reste de la seconde mi-temps, les deux équipes allaient se neutraliser. Pourtant, Bernard Viviès a cru avoir donné la victoire à son équipe après une pénalité peu avant l’heure de jeu (56e, 9-12). Mais Patrick Fort allait lui rendre la monnaie de sa pièce dix minutes plus tard (65e, 12-12). Le score n’allait plus bouger. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir tenté de faire pencher la balance en faveur de son camp, de part et d’autre. Mothe rata un drop à la 72e, de même pour Escande à la 74e: les deux tapèrent les poteaux. A croire que cette finale ne voulait pas voir de vainqueur. « C’est à croire que le sort s’acharnait sur chaque équipe ou bien qu’il voulait prolonger le plaisir » estime Delbreil. De même pour Bonhoure « Un symbole, en effet. La suite le prouvera ». Une suite qui verra les deux équipes aller en prolongations, puis jusqu’aux tirs au but.

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Malgré 80 minutes dans les jambes, la prolongation ne leur faisait pas peur sur le plan physique. Du moins, pas à tout le monde « Moi ça allait très bien, mais comme je l’ai dit, vu l’âge de certains, nous n’étions pas au mieux. » . Béziers n’était donc pas serein alors que du côté d’Agen, personne n’était effrayé à l’idée de prolonger cette finale Physiquement nous étions préparés donc nous tenions le coup et on voulait revenir très rapidement au score. Moralement nous n’avons pas cesser d’y croire et n’avons rien lâché. » raconte le troisième ligne.
Cette prolongation semblait partie du bon pied pour Béziers car peu après le début, Jean-Paul Médina venait intercepter une passe de Sella à Bérot dans les 22m Agenais pour donner un peu d’air à son équipe (85e, 21-15). Et selon les dires de Philippe Bonhoure, les joueurs pensaient avoir fait le plus dur. Il n’en fut rien. L’incontournable Viviès passait deux pénalités (92e, 96e). C’est « Très dur » pour les Biterrois. Il fallait commencer à regarder le règlement…Egalité parfaite : un essai, quatre pénalités, un drop et une transformation pour les deux équipes. Mais comment allait bien pouvoir se terminer cette finale alors que l’équipe de France partait en Nouvelle-Zélande deux jours après? Impossible de faire rejouer ce match. Il se terminera aux tirs au but. « Tant que nous étions pris dans le match, on ne s’est pas posé de questions, ce n’est qu’à l’issue des prolongations que les entraîneurs nous ont avertis qu’il y aurait des tirs aux buts » explique Delbreil. Philippe Bonhoure, lui, en avait connaissance:  « Oui, le lendemain [deux jours après en l’occurrence] l’équipe de France partait en Nouvelle-Zélande et le match ne pouvait pas être rejoué. » .

L’annonce officialisée, il a fallut déterminer les derniers protagonistes de cette finale. Un choix qui a coulé de source à Béziers. L’arrière Rouge et Bleu explique « Ce choix s’est fait naturellement sachant que lorsque Papy Fort, notre buteur, était absent ou défaillant, nous prenions le relais avec Michel Fabre ». Fort, Bonhoure et Fabre pour Béziers. Montlaur, Viviès et Mothe pour Agen. Au bord du terrain, la tension est palpable pour Delbreil et les joueurs du SUA. «  Nous nous sommes regroupés, la tension est retombée et nous avons regardé impuissants les différents buteurs qui eux devaient être tendus sachant que le score final reposait sur leurs épaules. Pour moi la tension retombait et la fatigue commençait à se faire ressentir » .

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Ligne des 22 mètres, décalé sur la droite. C’est de là qu’a commencé cette séance, face aux supporters biterrois. Philippe Bonhoure était habité par de la fierté avant d’aller tirer. « J’avais le sentiment qu’on m’avait confié une grande responsabilité et j’en étais très fier. » . Mais il échoua dans son premier tir tout comme Fabre. Pourtant, ce n’était pas question de pression « Justement, nous n’avons pas eu beaucoup de pression par rapport aux Agenais. En effet, ayant gagné le tirage au sort, nous avons choisi de tirer en premiers » . Montlaur et Mothe ont également raté leur tentative. 1-1.

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Ligne des 22 mètres, décalé sur la gauche. C’est là que tout va se jouer. « Papy » Fort rate son tir, Fabre et Bonhoure réussissent. Montlaur rate son coup de pied. Béziers mène 3-1. Soit Bernard Viviès passe son tir et une nouvelle série démarre, soit il la rate et le Bouclier retourne à Béziers. Le ballon s’élève dans le Parc des Princes mais retombe à droite des poteaux. « Bernard Viviès suite à son échec s’écroule en larme sur la pelouse. » se remémore Delbreil. L’Association Sportive Biterroise est sacré pour la 11e fois ! Historique. Bonhoure témoigne sa joie « L’issue dramatique de cette finale a donné à ce bouclier une saveur particulière. On était, à ce moment-là, à dix lieues de penser que ce serait le dernier mais on sentait bien qu’on venait de vivre un moment historique. Ce titre restera le seul décerné aux tirs au but » .

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Cette finale a laissé un goût amer, surtout aux Agenais « Dans l’idéal nous aurions dû rejouer cette finale mais comme l’équipe de France devait partir en tournée le lendemain en Nouvelle-Zélande, il a été décidé des tirs aux buts. Pour nous il paraissait logique que les deux équipes soient championnes de France ». Mais il faut bien un perdant. Agen a eu du mal à digérer cet échec. « Beaucoup de déception car une finale doit se gagner ! On ne se rappelle que du vainqueur et on à rarement l’occasion de jouer plusieurs finales dans sa carrière. Malgré notre défaite cela reste un merveilleux souvenir, qui restera à jamais graver dans ma mémoire » conclut Bernard Delbreil.

Armand Vaquerin avait dit:  « Si on pouvait leur donner la moitié du bouclier, on le ferait car ces Agenais le méritent bien » . Mais il ne fut pas mécontent de gagner un nouveau Brennus. Bonhoure témoigne: «  Armand était politiquement correct, mais je peux assurer que malgré tout le respect qu’il portait aux Agenais, il ne l’aurait partagé pour rien au monde ». Une finale, ça ne se joue pas, ça se gagne. Et peu importe la manière… Ne serait-ce que pour vivre des émotions telles que Philippe Bonhoure raconte, en conclusion.
« L’aéroport, le château de la Devèze, le balcon du théâtre, les allées noires de monde jusqu’à la statue de Paul Riquet, le défilé sur les allées, la fête, les invitations quotidiennes, la fierté de nos couleurs, de notre ville, le bonheur quoi…
. Une fois de plus, Pierre Lacans était là, en tribune présidentielle, soulevant ce « bout de bois », le planchot… ce Bouclier de Brennus. Le 11e pour une équipe de Béziers qui venait d’écrire sa légende.

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Maxime GIL
© Tous droits réservés / Mai 2014

Crédit photos: Midi Libre