Roger Gensane : « Nous ne faisions aucun sentiment »

15/12/2019

Roger Gensane nous a quitté le 12 décembre 2019. Vice-champion de France 1960, 1962 et 1964 (il ne jouera malheureusement pas la finale de 1961, l’empêchant de remporter le Bouclier de Brennus), il fût sacré Champion d’Europe en 1962 à Bucarest (face au Grivita Rosie).
A l’occasion de cet hommage, nous vous proposons une interview de notre ami et regretté Henri Geoffroy (dit Brescou) qui l’avait rencontré pour les débuts de l’association Rugbiterre.
Avec la disparition de Roger, c’est un peu plus l’Histoire de l’AS Biterroise qui s’érode mais, qui, en même temps, permet à ses glorieux anciens de rentrer dans la Légende Rouge et Bleu. Et l’occasion pour nous également de rendre hommage à Henri, qui nous manque.

  • Quand je passais à Séverac-le-Château, et en particulier pour les finales de rugby, j’avais une pensée pour deux  grands joueurs de l’ASB natifs du pays, Roger Gensane et Armand Vaquerin. C’est le berceau de votre famille ?

En effet, je suis né dans la ferme de mes grands-parents en face la gare.

 

  • Le rugby, comment vous y êtes venu, Séverac n’a crée son club qu’en 1971 ?

Mon père est venu pour son travail au dépôt de Béziers et à 11 ans, j’ai débuté le rugby avec Jacky Serin et Salinas au sein de l’école de rugby de Béziers.

Nous avions un éducateur, un grand éducateur même et qui a été injustement oublié alors qu’il faisait un travail remarquable. Alphonse Dedieu et je prononce son nom avec respect tant j’ai retenu ses première leçons. Il nous apprenait la technique individuelle et puis la récompense, c’était un match entre nous. Et croyez-moi que nous y tenions à ce match ! Et si par malheur, nous n’avions pas suivi ou si nous avions fait les imbéciles et bien, nous repartions à la maison un peu frustrés.

Mais la leçon portait car rares furent les séances qui ne finissaient pas par ce match sacré ou nous nous donnions à fond.

 

  • Et puis, commence une carrière dans l’enseignement…

 J’avais un statut un peu particulier d’instituteur itinérant, mais je n’allais jamais bien loin. Et puis, avec le goût du sport, je passais dans l’éducation physique et sportive.

 

  • Vous êtes passé par Bédarieux mais ce n’est pas vous qui découvrit Olivier Saïsset !

 Et non, nous n’étions pas dans le même établissement. J’ai essayé d’apporter à des générations d’élèves mon amour pour le rugby et Bédarieux était un poste avancé de rugby dans les hauts-cantons.

 

  • Tout comme Raoul, votre maître-mot, c’est rigueur, discipline et tout comme lui, vous avez été à l’Ecole de Raymond Barthès.

 Je voue une admiration pour Raymond qui fut un grand maître. Mais, nous avions aussi la chance d’avoir Félix Lacrampe et André Gayraud.  André, le Postier que nous avons perdu trop tôt et dont je salue la mémoire. Ces deux joueurs nous apportaient la sécurité et la confiance, même si ces deux mots sont un peu équivalents. (L’instituteur reprend le dessus !)

Donc, André c’était vraiment la poutre, le chef indiscutable. Il ne fallait pas qu’on touche un des nôtres sinon c’était la sanction immédiate. Et la foudre tombait.  D’ailleurs, il faut toujours un « vieux » qui fasse la loi.

Je vais vous raconter un coup du Postier. Match à Niort, un seconde ligne nous prive de ballons en touche, et André qui nous dit « Vésetz pas, macarel, qu’avem pas rès, anam pas démorar coma quo !! »

Il nous parlait souvent en patois… Et quelques instants plus tard, le gars subissait un petit traitement au sortir d’une touche. On ne le revit plus planer dans les airs…

 

  • C’est bien d’André ! Un sacré joueur et qui est passé à côté d’une carrière internationale à cause d’une réputation mal comprise.  Mais si nous parlions de cette fameuse troisième ligne GENSANE – SALAS – RONDI ? Une des meilleures de l’Hexagone avec quatre finales en cinq ans mais hélas, un seul titre ! Racontez-nous quelques anecdotes.

Puisque vous m’en donnez l’occasion, je vais être sévère avec la FFR qui, à cette époque, nous enleva la licence d’Antoine Molle, un ex-gardien de but doté d’une détente impressionnante.

Il fut radié à vie pour une sombre affaire d’argent. Car le professionnalisme était un sujet banni dans le monde du rugby. Les présidents de Vienne et de Béziers ont été radiés aussi. Pour qui a connu le bon président Fabrégat et la valeur d’Antoine Molle, ce fut un sacré coup dur. Je persiste à penser que cette sanction nous priva du Brennus et notamment en 1960. Nous avons dû subir une suprématie en touche du géant de Bigorre, Crancée.

  • Et déjà, se profilait cette aversion pour l’ASB que nous ne comprenions pas.

Je n’ai pu jouer cette finale de 1961, notre premier Brennus que nous avons enfin conquis après des années au plus haut niveau. Mais nous étions barrés par Lourdes, notre bête noire…

Avant la finale, lors d’un match contre un comté anglais, je (ou on) me brisais (ait)  la jambe dans un regroupement.

 

  • Et puis 1962, on vous retrouve auprès de vos frères d’armes, Salas et Rondi.

Cette finale contre Agen reste gravée en moi. Nous avions réalisé une belle première mi-temps avec un score de 11-3. Et puis, leur arrière Razat fut en état de grâce. Pris dans ses 22, en situation de défense, il  commença à échapper à un placage et relança l’attaque. Et on connait la suite, tout réussissait à cette équipe et même l’essai assassin de Méricq, avec un passage avéré en touche !

 

  • Et cette finale face à Pau en 1964 ?

 64,  les reculades en mêlée nous ont fait mal. (Roger secoue la tête, ce n’est pas dans les gênes biterrois que de reculer…)

  • Cette première épopée a permis de vous révéler et d’être appelé en équipe de France. Quelle belle troisième ligne avec Crauste et Roméro ! Vous aviez une spécialité qui pourrait penser à des antécédents de footballeur ?

Vous voulez parler du dribbling sans doute, c’est une forme de rugby inspiré par Raymond (Barthes). On tournait les mêlées et on jouait au pied avec la 3ème ligne. On était les premiers à adopter cette pratique. Avec le copain Rondi, on aimait cette phase de jeu.

Nous employions notre force là où était le ballon. Individuellement, nous n’étions pas des gros gabarits. Mais notre légèreté était un atout car elle nous donnait une grande vitesse d’exécution. Nous utilisions la force collective qui était le secret de notre méthode.

Et nous étions tous, comme un seul homme, là ou se trouvait le ballon et croyez-moi, nous ne faisions aucun sentiment. Nous rentrions pour faire mal, pour marquer les chairs, mais toujours à la loyale, comprenez-bien !

 

  • Et puis, départ pour l’US Romans-Péage, entraîneur-joueur, en 1965.

Oui, mais un an sans jouer!  C’est dur quand même ! Mais comme on dit, à toute chose malheur est bon,  Une entorse m’a permis de me rééduquer et de me refaire une santé car mon organisme avait besoin de souffler un peu après toutes ces années.

Romans est une ville comme Béziers qui aime viscéralement le rugby. C’était une ville ouvrière et riche. La chaussure payait de bons salaires et les gens vivaient bien. Après le travail, ils étaient dans les rues dans un climat convivial et heureux. J’ai connu là-bas, une ambiance chaleureuse, un certain art de vivre.

  • Vous y avez même laissé votre fiston qui fit une longue carrière et puis, il se dit que vous avez encore la considération générale. Au pays des De Grégorio et de Sorro, c’est pas mal, non ? Cette dynastie des Gensane, continue-t-elle ? Je me souviens d’un petit-fils qui pratiquait le tennis.

Oui, et  il joue au rugby, il fut capitaine de l’équipe jusqu’à cette blessure au genou.

 

Merci Roger pour cet agréable entretien. Et continuez d’entretenir ce feu sacré pour notre rugby.

Propos recueillis par Henri Geoffroy pour l’association Rugbiterre